Interview Rima Abdul Malak / Paris Photo

Rima Abdul Malak, ministre de la culture : « 36 % de femmes exposées à Paris Photo, ce n’est pas encore assez »

Dans un entretien accordé au « Monde », la ministre de la culture revient notamment sur son action en faveur des femmes photographes et de la scène française.

Propos recueillis par Claire Guillot Publié le 09 novembre 2023 à 10h00, modifié le 10 novembre 2023 à 12h36

LIEN VERS L’ARTICLE

La ministre de la culture, Rima Abdul Malak, à Paris, le 8 novembre 2023.
La ministre de la culture, Rima Abdul Malak, à Paris, le 8 novembre 2023. LUDOVIC MARIN/AFP

A l’occasion de la foire Paris Photo, la ministre de la culture fait le point sur les nouvelles donations de photographes aux institutions publiques. Elle s’exprime sur les craintes posées par l’intelligence artificielle et annonce une nouvelle commande publique pour le bicentenaire de l’invention de la photographie. Lire l’enquête : Article réservé à nos abonnés A Paris Photo, les images passent avec aisance du virtuel au réel Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections

Les photographes ont été longtemps réticents à confier leurs archives à l’Etat. Qu’est-ce qui a changé ?En 2022-2023, l’Etat a effectivement reçu des donations sans précédent, notamment à la Bibliothèque nationale de France et à la Médiathèque du patrimoine et de la photographie (qui, à elle seule, a reçu vingt et un fonds de photographes), qui incluent des archives, des tirages et des négatifs : les photojournalistes Christine Spengler et Gilles Caron, les photographes de l’agence Magnum Jean Gaumy et Patrick Zachmann, des artistes comme Dolorès Marat, Denis Brihat, John et Claude Batho… Des fonds photos de presse ont aussi été donnés aux Archives nationales, comme celui de Libération, avec cinq cent mille tirages

La France est le pays qui a vu naître la photographie, et nous gardons un attachement fort à ce médium, qui est le « miroir de notre mémoire », comme disait Henri Cartier-Bresson. C’est d’abord une relation de confiance avec des institutions qui savent à la fois préserver et valoriser les collections. Je ne connais aucun photographe qui donne son œuvre pour qu’elle reste dans des réserves ! Ces donations sont aussi le signe du dynamisme de la place de Paris dans le monde de la photographie, avec des collaborations plus décloisonnées entre institutions publiques et privées.

Le ministère de la culture avait lancé, il y a cinq ans, un parcours pour promouvoir les travaux des femmes à Paris Photo. Quel bilan tirez-vous ?

En 2018, il y avait 20 % de femmes exposées. Aujourd’hui, on est à 36 %, mais ce n’est pas encore assez. Une prise de conscience générale a eu lieu. Il a fallu quand même forcer un peu le changement – sans pour autant « ghettoïser » les femmes dans une section spéciale. En étant présentées partout dans la foire, elles sont visibles des institutions privées, publiques, des collectionneurs, de tous les visiteurs. Mais ce message, je le porte partout. Les Rencontres d’Arles ont aussi donné plus de place aux femmes. J’ai également tenu à développer les résidences de femmes photographes, avec un nouveau programme à la Cité internationale des arts.

Vous dites aussi vouloir faire plus pour la scène photographique française. Pourquoi ?

La force de la France a toujours été d’accueillir des artistes du monde entier. Mais quand on est une institution publique, on a aussi le rôle de promouvoir la scène française – c’est-à-dire les artistes qui vivent et travaillent ici. Or, elle n’est pas assez représentée dans les grandes institutions et les festivals. Nous avons insisté sur cet enjeu dans les conventions passées avec les structures que l’on soutient. Les lieux intermédiaires, notamment ceux réunis dans le réseau Diagonal, jouent un rôle majeur : eux comptent 68 % de Français dans leur programmation. Nous voulons aussi doubler les résidences ancrées dans les territoires, en doublant le budget du programme Capsule, à 320 000 euros, pour le déployer sur vingt-huit lieux.

L’intelligence artificielle inspire et inquiète les photographes. Quelle est votre position ?

La qualité de l’intelligence artificielle [IA] générative est telle qu’il devient difficile de faire la différence avec les vraies photographies. L’IA pose aussi des questions de droits d’auteur puisque les images des bases de données sont utilisées sans rémunérer ceux qui les ont produites. C’est un débat qu’on ne peut avoir qu’au niveau européen, comme on l’a fait au moment de la directive droits d’auteur et droits voisins. On a des experts qui ont fait des propositions. Mais l’IA offre aussi un potentiel de création immense. Des chercheurs l’utilisent pour la cathédrale Notre-Dame de Paris, afin d’améliorer notre connaissance scientifique. Une artiste comme Justine Emard s’en sert pour générer de nouvelles images de la préhistoire à partir de la grotte Chauvet. Donc il faut limiter les risques sans freiner l’innovation. L’autre enjeu de l’IA, c’est la formation. Dans les écoles de photo, d’art, d’architecture, les étudiants doivent être outillés pour savoir l’utiliser.

La pandémie de Covid-19, en 2020, a donné lieu à une commande photo publique sans précédent. Quelle était l’idée derrière ?

Quand ça s’est décidé, j’étais conseillère à l’Elysée, et j’avais en tête la célèbre missionphoto de la Datar [vaste commande artistique représentant le paysage français en 1984]. Au début de la pandémie, l’Etat a aidé les artistes sur le plan social. Mais il fallait aussi donner un élan de création et laisser des traces de cette période étrange que nous étions en train de vivre. Ça a donné la commande pluridisciplinaire « Mondes nouveaux » et la commande photo « Radioscopie de la France » confiée à la BNF, qui a concerné deux cents photographes de tous horizons. Une grande restitution aura lieu en mars à la BNF. Pour le bicentenaire de l’invention de la photographie par Nicéphore Niépce en 2026-2027, nous allons lancer une nouvelle commande photo avec le Centre national des arts plastiques, en direction de vingt photographes, avec l’idée de rendre hommage à l’histoire et de réinventer le médium.

Claire Guillot