Texte de Gallien Déjean
Un jour, Olivier Mosset a déclaré que ses monochromes étaient des peintures ratées. Il voulait dire par là que ce genre, en tant qu’aboutissement pictural, avait perdu sa radicalité aujourd’hui puisqu’il était devenu une image académique de lui-même, entraînant avec lui la chute de l’idéal moderniste. Si la dimension monochromatique est intégrée à la démarche de Justine Emard, ce n’est pas sous l’angle de la neutralité ou du constat d’échec. Sa pratique irait plutôt puiser du côté d’une certaine histoire des avant-gardes de la seconde moitié du XXe siècle : celle du cinéma sans image (de l’Anticoncept de Gil Wolman au flicker à la Paul Sharits). Une manière, pour elle, d’expérimenter ce qui distingue la fixité du mouvement et de réévaluer la question de l’écran – qui cache et qui révèle –, celle du cadrage et du hors-champ, paradigmes du cinéma.
La disparation progressive de l’image, à l’œuvre dans les photos et les vidéos de Justine Emard, a débuté par une enquête sur l’abandon des drive-in theaters aux Etats-Unis et en Espagne. Lors de ses repérages à Dallas en 2008, elle constate l’évanouissement des derniers cinémas en plein air. Elle recherche alors dans le tissu urbain la trace d’écrans potentiels. Sur chaque cliché de la série des Ecrans égarés flotte un rectangle blanc dans le paysage. Il s’agit généralement de formes, anonymes et « sauvages », le plus souvent peintes sur les murs de brique de la ville, que l’artiste découvre lors de ses pérégrinations. Si leur fonction première demeure incertaine, Justine Emard les considère comme des zones de projection mentale spontanées, quasiment engendrés par l’espace publique lui-même. Un dispositif ready-made, en quelque sorte. Dans un diptyque sans titre photographié à Sète en 2009, l’écran n’est plus qu’un contour sur l’horizon maritime, matérialisé par l’architecture délabrée d’une périphérie portuaire. « Le cinéma est dans la nature » déclare Godard à propos des alternances de la mer qu’il filme dans Le Mépris à travers le cadre des fenêtres de la villa Malaparte.
A l’opposé du monochrome, la disparition de l’image, chez Justine Emard, est antimoderniste puisqu’elle ne revendique nullement l’es- sence du medium artistique. L’œuvre, bien au contraire, est contextuelle. L’intérieur du cadre devient poreux, ouvert sur le hors-champ du monde qui l’environne : la tache de rouille sur l’écran vide, les murs de la ville, le halo des phares de voitures qui se rallument. La séance est terminée, ou ne fait-elle que commencer ?