Des horizons et le départ, Maison Populaire Montreuil

Exposition collective
Maison Populaire, Montreuil, Paris
du 3 octobre au 15 décembre 2018

Artistes : Morehshin Allahyari, Neïl Beloufa, Justine Emard et Romain Kronenberg

Commissaire en résidence : Stéphanie Vidal

En pratiquant le dépaysement, Justine Emard explore les arts de l’image et témoigne des interactions qui s’inventent entre technologies contemporaines, objets naturels et êtres humains. Son attrait pour les sciences de l’image et du langage l’a conduite, au fil des résidences et des voyages, à entamer des collaborations avec des chercheurs œuvrant au sein de laboratoires de pointe. En mettant en relation des domaines du savoir encore trop cloisonnés et des matériaux d’essences variées – comme le haut-parleur et le jardin en friche, l’écran et la gemme – elle nous incite à récoler les clichés du passé et nous invite à nous souvenir de mondes en devenir. 

Justine Emard propose des dispositifs créant de nouvelles façons de voir et de percevoir. Par sa pratique invocatrice, elle convoque des fantômes; qu’elle diffuse la bande sonore d’un film d’Alfred Hitchcock dans un parc, qu’elle fasse revivre les drive-in d’une Amérique disparue ou qu’elle révèle, à la surface de l’eau ou depuis l’espace, la lumière émise par les pêcheurs de l’île d’Iki au Japon. 

Le Japon, que l’artiste a découvert en 2012 et où elle continue de se rendre régulièrement, a sensiblement marqué son travail. Au cours de ses multiples séjours, elle s’est aperçue de l’existence de connexions entre sa pratique des nouveaux médias et la philosophie japonaise; en particulier avec le shintoïsme qui confère un caractère sacré à la nature. L’humain, l’étoile, l’arbre, le caillou et même certains concepts y cohabitent comme des éléments d’un Grand Tout. 

Cette pensée animiste, encore vivace à l’époque des technologies connectées, affleure dans Exovisions, une installation conçue par Justine Emard en 2017 pour une exposition kyotoïte et qui se trouve étoffée pour «Des horizons et le départ ». Exovisions est composée de pierres, de bois pétrifiés, d’argile prise dans la roche et d’une application de réalité augmentée intitulée Exovision. Pour transformer ces objets naturels en espace de projection et d’imagination, l’artiste a collaboré avec le compositeur Japonais Marihiko Hara. 

Lorsque le.la visiteur.euse s’approche appareillé.e, les minéraux s’éveillent. Apparaissent des univers dans lesquels le visuel et le sonore se confondent, le géologique et le technologique se combinent. L’artiste nomme ces petits mondes des «exo-scapes », rassemblant les radicaux de l’extériorité et du paysage. Inédits pour chaque gemme, ces «exo-scapes » cherchent la métamorphose et tendent vers le merveilleux. Leurs mouvements évoquent l’encre turbulente qui, injectée dans l’eau, permet la création de délicats papiers marbrés appelés suminagashi. Ils évoquent aussi les mouvements imprévisibles d’Alter, un système de vie artificielle, développé par le laboratoire de Takashi Ikegami à l’Université de Tokyo. Justine Emard a fait interagir cet androïde avec un danseur, cherchant la part créatrice de l’aléatoire et l’irrépressible élan vers l’autre, si différent et si semblable. 

Dans l’écosystème technologique composite qui est en train d’advenir, les apparitions de surface proposent des états flottants où se concertent trois temporalités à travers trois types de mémoires sollicitées. Il y a celle de la pierre, éternelle puisque toujours entière même brisée, qui dit le temps géologique; puis celle de l’humain, générationnelle, qui fait surgir les mythes ; et enfin celle des données numériques, nouvelle et ambivalente puisque oscillant entre la durabilité et l’obsolescence programmée. Le regard modifié, amplifié, étonné se prend à imaginer des terres sans frontières, se figure que d’autres mondes sont possibles si on cherche à les faire éclore et envisage le futur comme une réalité à conserver.